L’autre jour, sous le titre Un impénétrable mystère, j’ai exposé la succession des étapes qui ont amené l’Etat (au sens large : Confédération, Canton, Ville, CFF) et ses administrations à abandonner l’intelligent principe de la boucle de l’aéroport, prévu dès la conception de la gare de l’aéroport, en 1987, pour adopter l’absurde projet actuel : extension souterraine de Cornavin, seconde gare de l’aéroport, nouvelle ligne Cornavin-Nations-Aéroport.
Il me manquait l’articulation : la succession étant ainsi établie, il me manquait l’explication. Pourquoi et comment le projet initial a-t-il été abandonné autour de 2008 – 2009, lorsque le problème de capacité est devenu pressant ? Un lecteur m’a soufflé une hypothèse qui me semble très vraisemblable.
En 2008, les CFF étaient devenus, depuis 1999, une société anonyme. Ce nouveau statut les obligeait à gérer leur affaire en toute indépendance. L’une des conséquences de ce changement de statut a été qu’ils ont développé une forte activité immobilière.
Lorsque s’est posée la question de l’extension de la capacité du nœud ferroviaire de Genève, ils ont vu le considérable intérêt financier qu’ils pourraient tirer de ce besoin ferroviaire pour réaliser une opération immobilière : l’ajout de deux quais et 4 voies au côté de la gare actuelle de Cornavin dégagerait en-dessous, au niveau de la rue de Montbrillant, une surface de plus d’un hectare, prise en partie sur le domaine public, en partie sur des parcelles privées, dont certaines leur appartiennent, qui se prête magnifiquement à une galerie marchande.
L’intérêt de la Société anonyme des chemins de fer fédéraux était évident. Ils ont donc voulu faire ce que les pouvoirs publics voulaient les voir faire en leur imposant le statut de société anonyme : une bonne affaire. Il n’était pas dans leur intérêt de réaliser la boucle de l’aéroport, qui était la solution naturelle, prévue depuis la réalisation de la gare de l’aéroport.
La faute de l’OFT
C’est à ce moment précis que l’Office fédéral des transports aurait dû fermement intervenir pour protéger les intérêts de la collectivité publique. Il devait lui être évident que l’extension de la capacité du nœud ferroviaire de Genève devait aussi résoudre l’insuffisance de capacité de la gare de l’aéroport et de la ligne qui la relie à Cornavin. Il revenait à l’OFT de se rendre compte de cette lacune, dont on sait maintenant qu’il faudrait 2,0 milliards pour la combler : une nouvelle ligne reliant Cornavin à Aéroport par Les Nations, et une seconde gare de l’aéroport.
L’OFT a sans doute demandé aux CFF combien coûterait la réalisation des 4 voies et deux quais à Cornavin, les CFF, ont répondu, 790 millions. La solution de la boucle coûtant à peu près autant (selon moi 740 millions), l’OFT a jugé la proposition des CFF acceptable. La faute est là : l’OFT aurait dû comparer le prix de la boucle, 740 millions, avec le prix de l’extension de Cornavin, 790 millions, plus le prix de la nouvelle ligne Cornavin-Nations-Aéroport, plus le prix de la seconde gare de l’aéroport, au total 2,79 milliards.
Il faut le relever, rien de toute cette affaire n’a été rendu public. A ma connaissance, elle n’a même pas été débattue au Grand Conseil genevois, ni au Conseil municipal de la Ville de Genève. L’accord entre OFT, Canton, Ville et CFF a été pris par ces administrations sans aucun contrôle politique : la solution adoptée l’a été sans discussion, présentée comme indiscutable. Je n’ai trouvé aucune trace. Ce fait est nécessaire à la compréhension de ce qui va suivre.
L’enchainement tragique
Des voix se sont élevées contre cette faute, ou tout au moins contre ses conséquences. Le Laboratoire de la production d’architecture de l’EPFL, dirigé par le Professeur Gugger, mandaté par la CCIG-Chambre du commerce et de l’industrie de Genève, a conclu à l’opportunité de la boucle de l’aéroport. Il a été ignoré. Lorsque les gens des Grottes se sont opposés au projet d’extension de Cornavin, OFT, CFF, Canton et Ville ont défendu le projet avec acharnement, prétendant que c’était la seule solution possible.
Or il devait être évident, pour l’OFT au moins, qu’il y avait en tous cas deux autres solutions possibles : l’enfouissement des voies supplémentaires à Cornavin, et la boucle de l’aéroport.
Mais reconnaître qu’il y avait aussi la solution de la boucle, ç’aurait aussi été reconnaître que la décision prise deux trois ans plus tôt était arbitraire. Ç’aurait été reconnaître une faute passée, partagée entre tous ceux qui y avaient participé.
On a préféré adopter solidairement la mauvaise variante que d’avouer la faute commise solidairement quelques temps plus tôt. Ça coûte cette fois 4,67 milliards (1,67 milliard première extension souterraine de Cornavin, 1,00 milliard seconde extension souterraine de Cornavin, 2,00 milliards seconde gare de l’aéroport et ligne nouvelle Cornavin-Nations-Aéroport). 3,93 milliards de plus que la boucle (740 millions).
Autant que ça ? Bah ! tant pis, la sauvegarde de notre amour-propre vaut bien ça !
La boucle de l’aéroport se heurtait désormais à une redoutable coalition.