L’idée des péages séduit, avec de bonnes raisons.
De plus en plus nombreuses sont les voix qui appellent à instaurer des péages routiers. Elles se partagent en deux partis, qui poursuivent deux objectifs différents :
Pour l’un, il s’agit de faire financer les infrastructures routières directement par ceux qui les utilisent, afin de contourner le redoutable obstacle démocratique, qui est qu’il faut réunir une majorité pour que l’Etat les finance. Ce principe est lié, fortement mais pas forcément, avec celui du financement privé.
Pour les autres, l’objectif est de réduire l’attrait de la circulation automobile, en lui faisant payer plus cher l’usage des d’infrastructures publiques. Ce second parti est toutefois subdivisé en deux camps. Il en est qui comptent ainsi supprimer les encombrements, il en est d’autres qui veulent réduire les nuisances que le trafic automobile impose à la collectivité.
La Constitution fédérale (article 82, ch. 3) interdit le péage pour l’usage de routes publiques, sauf exception décidée par l’Assemblée fédérale. Pour comprendre la raison de cette interdiction, il faut se rappeler que la pratique du péage est ancienne : il était exigé à un passage difficile, un gué ou un pont, un col, ou encore à l’entrée d’une ville ou d’un pays. A tort ou à raison, les astreints au péage jugeaient que le prélèvement du péage était un privilège des puissants de l’endroit, et non une contribution raisonnable aux dépenses nécessaires à ces passages. Au moment de la fondation de la Confédération, c’est encore ainsi qu’étaient compris les péages, qui restreignaient la liberté de circulation des personnes et des marchandises à l’intérieur de la Suisse. Le seul tronçon à péage qui jouisse d’une autorisation exceptionnelle est le tunnel du Grand Saint-Bernard ; en fait, je devrais être plus précis : c’est la moitié suisse seulement du tunnel qui bénéficie de cette exception. Constater cela suffit pour comprendre l’exception.
L’interdiction constitutionnelle des péages routiers résulte de considérations éminemment fédéralistes : fallait-il laisser le privilège de prélever des péages aux cantons ? Laisser, par exemple, les gens de la Léventine et de la haute vallée de la Reuss prélever un péage sur le passage presqu’obligé des Alpes ?
C’est pourquoi des exceptions ponctuelles à l’article constitutionnel ne sont pas envisageables. Les Suisses n’accepteraient pas de payer un péage destiné à payer la construction et l’exploitation d’une traversée du Lac à Genève, dont les principaux bénéficiaires seront les Genevois, si ce cas reste unique. Pas plus qu’ils n’accepteraient, si ce cas reste unique, de payer un péage pour circuler à l’intérieur de Genève. Pas plus enfin qu’ils n’accepteraient, si ce cas reste unique, de payer un péage pendant les heures de pointe entre Coppet et Cointrin pour bénéficier d’un trafic plus fluide. L’obstacle est institutionnel.
La question du péage routier ne se résoudra, j’en suis persuadé, que globalement, pour l’ensemble de la Suisse. Je doute que même à titre provisoire des essais puissent être entrepris, tant que notre Constitution en interdit le principe.
Pourtant, une tarification modulée de la mobilité pourrait contribuer efficacement à l’aplanissement des énormes difficultés que rencontre le secteur des transports.
Pour permettre le péage dans le secteur spécifique de la route, il faut biffer le chiffre 3 de l’article 82 de la Constitution. Pour ce qui est des routes nationales, qui appartiennent désormais à la Confédération, dont l’extension, du ressort de la Confédération, est soumise aux chambres, ce sera assez facile. Pour ce qui est des péages urbains, il faudra peut-être maintenir l’exigence d’une décision de l’Assemblée fédérale pour chaque cas.